- PINCEVENT
- PINCEVENTLe site préhistorique de Pincevent se trouve près de Montereau (Seine-et-Marne) sur la rive gauche de la Seine à quelques kilomètres en aval du confluent avec l’Yonne. Il a été occupé à la fin du Paléolithique supérieur, vers 10 000 avant notre ère, par des chasseurs magdaléniens qui venaient y chasser le renne entre la fin de l’été et le début de l’automne. Découvert fortuitement en 1964 au cours de l’exploitation d’une sablière, ce grand gisement est régulièrement fouillé depuis cette date et constitue une école de fouilles pour de nombreux stagiaires français et étrangers. Le nom d’André Leroi-Gourhan, mort en 1986, reste attaché au site car il a su y développer, avec son équipe de recherche, une véritable approche ethnographique de la vie et du comportement des chasseurs préhistoriques. Par ses techniques novatrices de fouille sur de vastes surfaces et par l’analyse rigoureuse des sols d’habitat, le gisement est devenu un modèle auquel se réfèrent désormais les préhistoriens du monde entier.SiteContrairement aux grands gisements classiques du Magdalénien d’Europe occidentale ou orientale, Pincevent n’est remarquable ni par l’abondance de ses œuvres d’art, ni par la qualité exceptionnelle de son outillage lithique ou osseux; mais les structures d’habitat y sont particulièrement bien conservées car les campements, établis à proximité du fleuve, ont eu la chance d’être très rapidement enfouis dans les limons d’inondation. On connaît actuellement près d’une vingtaine de niveaux d’occupation étagés sur un à deux mètres d’épaisseur; la superposition de ces niveaux, séparés par quelques centimètres de sédiment, témoigne du retour répété de petits groupes de nomades venus s’établir quelque temps à proximité d’un territoire favorable à la chasse, lors des migrations saisonnières des rennes. Les sols d’habitat sont caractérisés par la présence de foyers encore remplis de cendres et de pierres éclatées à la chaleur, par des accumulations de silex taillé et des ossements de rennes.Techniques de fouille et d’analyseCes restes de campement, en eux-mêmes dénués de valeur, n’ont d’intérêt que si on les dégage soigneusement, en laissant tous les vestiges en place, de façon à pouvoir observer leur position relative: la fouille en décapage permet de retrouver la structuration de l’espace domestique telle qu’elle a été créée, volontairement ou involontairement, par les occupants et restitue une image proche de celle que ceux-ci pouvaient conserver à l’esprit de leur campement lorsqu’ils partaient vers d’autres lieux de séjour.La première étape du travail consiste donc à mettre au jour le sol d’habitat enfoui en enlevant seulement le sédiment qui enrobe les vestiges. Lorsqu’on considère que l’optimum de décapage est atteint et que tous les éléments paraissent reposer sur leur base comme s’ils venaient d’y être déposés, il convient non seulement d’observer avec soin l’organisation du sol, mais aussi d’en conserver l’image par divers moyens d’enregistrement. En effet, l’étude des vestiges découverts nécessite une manipulation qui ne peut se faire qu’en laboratoire et il n’est pas possible de les laisser en place.Chaque mètre carré de sol fouillé fait l’objet d’une photographie verticale sur laquelle tous les objets prélevés seront repérés et dûment numérotés. À partir de ces indications, il sera toujours possible, par la suite, de retrouver leur position exacte sur le sol. Les plans photographiques verticaux servent ensuite à l’établissement d’un plan général sur lequel toute la structure fouillée est représentée. Des relevés altimétriques enregistrent par ailleurs le pendage du sol et les hauteurs relatives des objets. Enfin, de très nombreuses prises de vue obliques conservent l’image «naturelle» de l’ensemble du sol ou celle des détails significatifs. Souvent, lorsque le sol décapé paraît particulièrement intéressant, on procède, avant l’enlèvement des objets, à un moulage du sol d’habitat selon un procédé qui a été mis au point en 1964 par M. Brézillon pour la première unité d’habitat découverte: l’habitation no 1. Le moulage offre l’avantage de conserver en trois dimensions la configuration réelle des sols d’habitat, et permet ainsi de la présenter au public.L’image globale obtenue par le décapage rend directement perceptible les «structures évidentes» que constituent les foyers, les amas de silex et les accumulations plus ou moins importantes d’os ou de cendres.La seconde étape de l’interprétation se fait en laboratoire et concerne la mise en évidence des «structures latentes». Chaque type d’objet recèle en effet toute une série d’informations qui permettent d’aller plus loin dans l’analyse spatiale. En séparant sur des plans distincts les divers types d’outils, les os en fonction de leur origine anatomique, les déchets de combustion ou la configuration des zones imprégnées de poudre d’ocre rouge (qui avait sans doute à la fois un usage esthétique et technique), on repère les véritables zones de travail définies par quelques outils et déchets de fabrication, les zones de dépeçage du gibier ou de consommation de la viande et de la moelle, des dépotoirs mêlant des déchets de cuisine et de silex, des outils cassés et des blocs éclatés au feu, enfin des zones plus vides pouvant correspondre aux zones de couchage ou à l’empreinte d’éléments disparus.Il est même possible de définir plus précisément les types d’activité lorsque des traces d’usage ont été conservées sur les outils et les lames tranchantes de silex: leur observation au microscope détecte des types distincts de «poli» en fonction de la matière travaillée et des gestes effectués. Ici, des lames ont servi à découper de la peau ou de la viande, là, on a préparé des peaux, quelquefois enduites d’ocre pour éviter la putréfaction, en les raclant et en les assouplissant avec des grattoirs, ailleurs on les a assemblées, sans doute avec des tendons et une aiguille d’os, en les perforant préalablement au moyen de petits perçoirs; plus loin, on a rainuré des bois de renne avec des burins pour en extraire des baguettes destinées à la confection de pointes de sagaie. Auprès du feu, de nombreuses petites lamelles de silex minces et allongées portent des traces d’impact analogues à celles que l’on observe sur des pointes de flèche: on sait maintenant, grâce à la découverte exceptionnelle d’un fragment préservé, que ces lamelles étaient fixées le long du fût des sagaies au moyen d’une résine sans doute imprégnée de poudre d’ocre. Au retour de la chasse, on enlevait les barbelures endommagées près du feu en amollissant la résine à la chaleur et on les remplaçait par de nouvelles.À cette analyse statique de la répartition des vestiges sur le sol, qui correspond à l’organisation de l’espace au moment du départ des occupants, s’ajoute une analyse dynamique des dépôts grâce à l’établissement de raccords entre les éléments dispersés de silex taillé, des pierres éclatées au feu ou des os disloqués des squelettes de rennes. À partir de la reconstitution de ces puzzles, les divers spécialistes étudient d’abord la dispersion des divers fragments provenant d’un même élément, et relient ainsi des concentrations isolées de vestiges aux centres de fabrication ou d’utilisation; ils distinguent, par exemple, les postes de travail du silex et les zones d’évacuation des déchets produits par le débitage qui encombraient ce poste de travail ou démontrent que certaines pierres retrouvées dans tel foyer ont d’abord été chauffées dans un autre foyer qui en a conservé quelques éclats thermiques. Par l’analyse des modes de fracturation et des processus volontaires (pour le débitage d’un rognon de silex ou le dépeçage des animaux) ou involontaires (pour la fracturation des pierres de foyer), on peut en conséquence retrouver la chronologie des dépôts et savoir comment les occupants concevaient l’organisation de leur habitat. En même temps, la logique des opérations décelée à travers ces raccords, appelée aussi la reconstitution des chaînes opératoires, depuis l’obtention des diverses matières premières jusqu’à l’utilisation des outils et des armes et leur abandon définitif sur les sols d’habitat, informe sur la nature des diverses activités de chasse, de boucherie, de cuisson et de fabrication, et donc sur les raisons de la présence des Magdaléniens à Pincevent.Le modèle d’habitation magdalénienne de PinceventAu cours des années, près d’une vingtaine de ces sols d’habitat, s’organisant autour de grands foyers, ont été mis au jour à Pincevent. Très vite, A. Leroi-Gourhan, à partir de la récurrence des faits observés, a pu en établir le schéma général d’organisation.Les grands foyers en cuvette, plus ou moins comblés de pierres, constituaient manifestement un pôle autour duquel se concentraient les activités domestiques sur une couronne de 1 m à 1,50 m de largeur; les outils et les déchets d’os ou de silex que l’on y rencontre témoignent d’opérations liées à l’entretien du feu et à la cuisine, au travail du silex et des matières osseuses. Cette aire d’activité est reliée par de nombreux raccords à un vaste éventail des vestiges (pierres portant des traces de chauffe, silex et os), qui s’étend au-delà du foyer. Il s’agit en fait d’une zone d’évacuation où étaient rejetés peu à peu les déchets qui encombraient la zone de travail. En revanche, les Magdaléniens semblent avoir préservé, tout au long du séjour, l’espace situé en arrière du foyer, sans doute parce qu’il correspondait «à la partie de l’habitation où se trouvait le matériel de couchage». Des groupements isolés de silex ou d’os, retrouvés un peu plus loin et souvent associés à de petits foyers, marquent des zones de travail plus spécifiques nécessitant de l’espace: dépeçage des animaux, traitement des peaux, fabrication des hampes pour les armes de jet...Malheureusement, si l’existence d’un abri paraît plus que probable à proximité des vastes foyers, sa forme au sol n’est marquée par aucun aménagement construit. Seuls quelques cordons de vestiges, sans doute venus buter sur une paroi aujourd’hui disparue, suggèrent, dans certains cas, un plan d’habitation plus ou moins circulaire, de 2 à 3 m de diamètre. André Leroi-Gourhan pensait que l’abri léger (tente de peaux ou hutte de branchages) édifié par les Magdaléniens se refermait au-dessus du foyer, protégeant ainsi l’endroit où l’on s’installait le plus volontiers pour travailler. Les nouvelles analyses semblent indiquer que cet abri se situait plutôt en retrait de la zone de travail sur laquelle il s’ouvrait largement.Ce type d’organisation se retrouve dans tous les campements découverts dans les niveaux supérieurs d’occupation et en particulier sur le niveau IV 20 où une douzaine d’installations, centrées sur un foyer principal, se répartissent sur 4 000 m2.L’habitation no 1, qui est à l’origine de la découverte du gisement et représente l’une des occupations les plus anciennes du site, est un peu différente dans la mesure où l’ensemble des vestiges s’organise autour de trois grands foyers alignés; la simultanéité de leur fonctionnement est démontrée par l’établissement de nombreux raccords de silex et de pierres entre les zones de travail qui leur sont associées ainsi que par les activités complémentaires qui y ont été réalisées. Il s’agit bien d’une seule habitation et non de l’agrégation de trois tentes comme on l’avait cru au départ. L’ensemble constituerait donc une variante particulière du modèle habituel.Les activités des Magdaléniens à PinceventTout porte à croire que le retour régulier des Magdaléniens à Pincevent était lié au passage saisonnier des rennes. L’abondance des os retrouvés et le grand nombre des petites lamelles de silex qui armaient les pointes de sagaies en bois de renne attestent une intense activité de chasse. Le site était sans doute un lieu de rassemblement où se retrouvaient divers petits groupes pour les grandes chasses d’automne, comme le démontrent les diverses habitations du campement du niveau IV 20. Sans doute pratiquaient-ils une chasse collective: d’après ce que l’on sait des chasseurs de rennes actuels (les Nunamiut, d’Alaska, par exemple), l’abattage d’un maximum de bêtes lors des migrations saisonnières des troupeaux demande la participation d’un nombre important de rabatteurs et de chasseurs; ce fait, impossible à démontrer directement à partir des données de la fouille, peut être déduit de la répartition des squelettes de rennes: des analyses très fines effectuées sur les dimensions corrélées des fragments osseux et des surfaces de contact articulaire prouvent que certains rennes ont été partagés entre deux ou trois habitations dans lesquelles ont été retrouvés les os disloqués des membres gauches et droits d’un même animal. Ce partage implique vraisemblablement, d’après les exemples actuels, une mise en commun des efforts des chasseurs. Au retour de l’expédition, le gibier devait être réparti en fonction du rôle de chacun. Les animaux, entiers ou partagés, étaient ensuite consommés dans chaque tente; les occupants récupéraient aussi les peaux qu’il fallait traiter, les bois de renne, les os et les tendons nécessaires à la fabrication de divers instruments. Mais la vie collective ne paraît pas avoir été seulement liée à la chasse: les raccords entre des pièces dispersées montrent en effet tout un réseau de circulation à l’intérieur du campement. Des transports de lames ou d’outils de silex entre les diverses zones de travail ou le prélèvement de pierres dans certains foyers pour servir à l’aménagement d’un autre suggèrent que des individus appartenant à des installations distinctes se réunissaient pour effectuer des tâches utiles à l’ensemble de la communauté.D’après la diversité des activités effectuées à Pincevent, on se rend compte qu’il s’agissait non seulement d’un site d’abattage et de boucherie, où seuls des chasseurs auraient pu se retrouver, mais aussi d’un camp de résidence où les femmes et les enfants pouvaient être présents. L’analyse des remontages de silex montre, par exemple, que, à côté de techniques très élaborées du débitage du silex révélant une maîtrise complète du travail de la pierre par des tailleurs expérimentés, on trouve des débitages malhabiles, réalisés sur des rognons de mauvaise qualité, qui ne peuvent avoir été produits que par des individus ne sachant comment s’y prendre: peut-être par des enfants cherchant à imiter les «grands». Certains petits foyers associés à quelques fragments informes de silex ou d’os sans valeur fonctionnelle ou nutritive peuvent avoir une signification analogue: ils pourraient aussi avoir été allumés par des enfants au cours de leurs jeux. En tenant compte de la petite surface des abris, on suppose donc que chaque groupe correspondait sans doute à une famille nucléaire, c’est-à-dire à deux ou trois adultes et quelques enfants.Pincevent ne constituait qu’une étape pour les chasseurs magdaléniens au cours de leurs déplacements annuels. On sait maintenant que l’une de leurs étapes précédentes se situait non loin de la confluence de la Marne avec la Seine, à 40 km au nord. En effet, on retrouve très souvent, mêlés aux abondants déchets du silex local récolté sur les rives de la Seine, quelques lames et outils d’un silex particulier qui n’affleure que dans cette région. Ces objets correspondent, en fait, à une partie de l’équipement emporté par les nomades pour subvenir à leurs besoins au cours du voyage et de leur arrivée à Pincevent. Reste encore à découvrir, dans un autre site, le silex de Pincevent pour savoir où les Magdaléniens se rendaient après les grandes chasses d’automne.Pinceventsite préhistorique de France (Seine-et-Marne); import. gisement magdalénien, découvert en 1964.
Encyclopédie Universelle. 2012.